Migraine, réalité et fardeau de l’hypersensibilité sensorielle
Un article de Sabine Debremaeker, présidente de la Voix des Migraineux.
Cet article a pour seule ambition la vulgarisation scientifique d’une partie des connaissances actuelles. Il n’a pas la prétention de décrire tous les aspects physiopathologiques liés à l’hypersensibilité sensorielle. Son seul but est de rendre accessible une partie des constats et des hypothèses retenus dans le cadre du sujet de celle-ci.
HYPERSENSIBILITÉ SENSORIELLE CHEZ LE PATIENT MIGRAINEUX
La migraine est l’une des maladies neurologiques les plus complexes qui soient. Le modeste but de cet article est d’entrouvrir la porte de cette complexité en l’abordant par l’angle des symptômes généralement considérés comme accompagnant la migraine, c’est-à-dire les symptômes d’hypersensibilité sensorielle.
Le diagnostic de la migraine repose sur les caractéristiques suivantes :
- Une douleur unilatérale (d’un seul côté),
- Une douleur modérée à intense,
- Une douleur aggravée par l’effort,
- Une douleur pulsatile.
Elle peut être accompagnée des symptômes suivants :
- Photophobie (sensibilité à la lumière),
- Phonophobie (sensibilité aux sons),
- Nausées ou vomissements.
La sensibilité dans ce contexte se réfère aux sensations perçues par les 5 sens : la vue, le toucher, l’odorat l’ouïe, le goût. Des stimuli extérieurs perçus par ceux-ci entraînent une réaction physiologique. Dans d’autres contextes, il peut s’agir de la sensibilité émotionnelle.
Dans le cas de la migraine, on constate des anomalies de la perception des stimuli sensoriels entraînant un inconfort plus ou moins tolérable selon les patients. Plusieurs manifestations sont identifiées comme des symptômes caractéristiques de la migraine :
- La photophobie, une sensibilisation accrue à la lumière pouvant aller jusqu’à l’intolérance durant la crise.
- La phonophobie, une sensibilisation accrue au bruit pouvant aller jusqu’à l’intolérance durant la crise.
- L’osmophobie, une sensibilisation accrue aux odeurs pouvant aller jusqu’à l’intolérance durant la crise.
- L’allodynie, une sensibilisation accrue au toucher pouvant aller jusqu’à l’intolérance durant la crise.
Tous les patients ne présentent pas tous ces symptômes.
Le cerveau les traite isolément, mais aussi globalement, en les associant avec les autres stimuli perçus. Par exemple, en randonnée, vous entendez un bruit de chute ; en même temps, vous voyez tomber quelques bouts de rocher et vous sentez vos pieds déraper. Les perceptions véhiculées par l’audition, la vue et le toucher ont été traitées et analysés par votre cerveau, et celui-ci vous incite à la prudence.
La migraine est une maladie neurologique caractérisée par un cerveau hyperexcitable qui réagit anormalement à des stimuli anodins pour les non-migraineux. Les stimuli peuvent être internes, comme les hormones, ou externes, comme ceux perçus par les sens : le bruit, la luminosité par exemple. De nombreuses études ont permis d’observer cette hyperexcitabilité grâce à des examens d’imagerie.
Par ailleurs, des études plus anciennes concluaient à un probable « défaut d’habituation du cerveau ». Par ce terme, on entend la capacité du cerveau à traiter de façon automatique ou presque un stimuli qui est habituel. Ce stimuli finit par être perçu en arrière-plan. Cette hypothèse est reprise dans des publications plus récentes. Ces deux conditions s’additionneraient et rendraient le cerveau du migraineux hypersensible aux variations internes et externes.
Plusieurs organes sont impliqués dans le mécanisme de la migraine. Parmi eux, le thalamus joue un rôle important dans le traitement des stimuli sensoriels. C’est une glande de substance grise. Il a de nombreux rôles dont celui de relayer et de moduler les informations sensorielles et motrices entre le système nerveux et le cerveau, y compris la douleur. Il est connecté à une grande variété de zones corticales telles que les régions motrice, visuelle, auditive, olfactive et limbique. Cela peut expliquer une partie de la complexité des caractéristiques de la migraine. Cette transmission est modulée par les réponses cognitives et émotionnelles du patient. En fonction de notre expérience et de nos connaissances, nous ne ressentons pas tous de la même façon. Il joue un rôle essentiel dans les particularités sensorielles de la migraine. Des études montrent qu’il est activé dès la phase du prodrome.
DANS LA LITTÉRATURE SCIENTIFIQUE RÉCENTE
Au cours des dernières années, de nombreuses études ont été réalisées. Certaines se présentaient uniquement sous forme de questionnaires proposés aux patients et à un groupe témoin. Elles permettent de dégager des données statistiques et d’identifier des particularités possibles de la migraine par rapport au groupe témoin. D’autres portent uniquement sur des examens d’imageries ou des analyses de sang, et permettent d’apporter des données sur la physiopathologie de la migraine. Certaines regroupent les deux types d’approches.
- Dans une publication parue en 2022, les Docteurs Villar-Martinez et Goadsby, deux des plus éminents spécialistes mondiaux de la migraine, soulignent qu’analyser la migraine à partir du seul symptôme douloureux était une approche simpliste qui entravait sa compréhension, et ils ne sont pas les seuls à faire ce constat. En effet, ces symptômes sensoriels peuvent être aussi impactant que la douleur, voire plus impactant. Reconnaître les symptômes associés à la migraine comme des éléments fondamentaux de la migraine a permis une compréhension plus approfondie et plus cohérente de celle-ci. Ils passent en revue les manifestations cliniques associées à la migraine : phonophobie, photophobie, osmophobie, allodynie, vertiges, vomissements, nausées, et en donnent des éléments de compréhension. Puis, ils présentent la liste des symptômes ainsi que les mécanismes particuliers reliés à chaque symptôme. Il est impossible d’y revenir en détail.
Le profil génétique des patients joue un rôle très important dans les variations constatées d’un malade à l’autre. À ce jour, on dénombre 180 gènes de susceptibilité liés à la migraine. La migraine étant une maladie très complexe, une grande partie des composantes du cerveau sont impliquées. Ainsi, il rapporte des variations de l’influx sanguin dans certaines parties du cerveau ainsi que des variations de l’influx nerveux. Une activation inhabituelle de certaines zones du cerveau est observée.
De nombreux neurotransmetteurs participent aux mécanismes de la migraine et voient leur niveau et leur fonctionnement impactés durant les crises. On retrouve ainsi la sérotonine, la dopamine, le cortisol, le glutamate, ou encore le CGRP, la liste est longue. Des examens d’imagerie comme l’IRM, qui permet de faire des constats anatomiques, et l’IRM fonctionnel, qui permet d’explorer le fonctionnement des organes, ont donné accès à des domaines inexplorés. La connaissance des mécanismes de la migraine a pu faire un bond de géant. Cependant, au-delà des constats, beaucoup de questions restent ouvertes : pourquoi ? comment ?
- Dans le cadre d’une étude publiée en 2020, des chercheurs ont réunis 61 migraineux et 101 témoins. Le seuil auditif déclenchant une excitabilité neuronale plus élevée s’est révélé plus faible chez les migraineux, même en dehors des crises, et ce seuil est encore plus faible chez les migraineux chroniques. La qualité de vie a été évaluée avec l’échelle MIDAS (Migraine Disability Assessment). Elle est utilisée pour évaluer l’incapacité liée aux maux de tête. Cette échelle se compose de plusieurs questions qui portent sur l’incapacité ou le manque de productivité dans les sphères familiale, professionnelle et les tâches domestiques. Elle évalue le nombre de jours impactés par la maladie soit en incapacité, soit en manque d’efficacité, sur les 90 derniers jours. Plus le nombre de jours est élevé, plus le handicap est important. Les scores étaient d’autant plus importants que le seuil de déclenchement était bas, démontrant ainsi l’ampleur du handicap. Les études d’imagerie ont montré des réponses inhabituelles aux stimuli dans l’ensemble du cerveau des personnes souffrant de migraine.
- Une étude publiée en 2020 analysait les différences de réponses aux sons, à la luminosité ainsi qu’aux odeurs dans la migraine avec aura et la migraine sans aura. La taille de l’échantillon, 321 malades dont 146 avec aura et 175 sans aura, permettait d’obtenir des résultats significatifs. Les chercheurs ont utilisé des échelles validées pour évaluer la sensibilité des malades. Tous les patients ont répondu au même questionnaire, ce qui a permis d’obtenir des résultats objectifs. Après comparaison des données, il est apparu que les migraineux avec aura présentaient une sensibilité plus accrue à la luminosité que les migraineux sans aura. Par contre, on ne constatait aucune différence significative entre les deux catégories de malades par rapport à la sensibilité aux odeurs et aux sons. Les auteurs se questionnaient sur la présence d’un mécanisme commun sous-jacent à la migraine avec aura et l’hypersensibilité visuelle. Ils évoquaient des études précédentes qui constataient un plus grand nombre de connexions entre les zones du cerveau où sont traités les stimuli lumineux et sonores chez les patients migraineux. Cette connectivité supplémentaire pourrait contribuer à expliquer la sensibilité accrue au son, à la lumière et aux odeurs chez les personnes souffrant de migraine.
- Dans une étude publiée en 2015, les auteurs tentent de déterminer si les symptômes d’hypersensibilité sensorielle, comme par exemple la photophobie ou la phonophobie, seraient la conséquence du rôle des déclencheurs, ou feraient partie intégrante du prodrome, la phase annonciatrice de la crise qui est repérée par les patients comme la phase douloureuse, la céphalée. Comme il est difficile de déterminer quand commence le prodrome, ou si ces symptômes pourraient intervenir dans l’un ou l’autre mécanismes, des recherches plus poussées sont nécessaires.
- Une étude publiée en 2021 a exploré l’impact sur le quotidien des malades. 187 malades ont répondu à des questionnaires : 26 hommes et 161 femmes. Celui-ci a été évalué avec l’échelle MIDAS. Une échelle de détresse psychologique a également été proposée aux patients. Les résultats ont montré que plus il y a de facteurs d’hypersensibilité sensorielle, plus l’impact est important. Les personnes qui souffrent de phonophobie et de photophobie déclarent des impacts plus importants que ceux qui ne déclarent qu’un symptôme. Les plus handicapés étaient ceux qui déclaraient les trois symptômes : photophobie, phonophobie et osmophobie. Cette étude présente plusieurs limites. Les auteurs suggèrent des études plus détaillées sur la participation de ces symptômes dans la physiopathologie de la migraine. L’étude du rôle des traitements préventifs de la migraine sur la fréquence des symptômes pourrait aussi être une piste de travail intéressante.
CONCLUSIONS
Le fardeau de cette hypersensibilité sensorielle est méconnu et il impacte la vie quotidienne des malades encore plus que la douleur. D’autant que cette sous-estimation de la part des médecins et du grand public entraîne une stigmatisation importante et des difficultés pour les malades à obtenir des aménagements adaptés. Faute d’informations, l’entourage interprète les plaintes des malades et leurs demandes comme des caprices qui viennent perturber leur propre confort. Par exemple, il est très compliqué d’obtenir que le volume du son soit diminué.
De nombreuses preuves statistiques émergent des enquêtes auprès des patients à propos de l’importance de la fréquence et de l’intensité des symptômes d’hypersensibilité sensorielle. Des études, ou divers examens d’imagerie, des mesures de l’influx nerveux et sanguin, l’évaluation des variations constatées sur les niveaux de neurotransmetteurs et sur leur activité… ont permis de commencer à récolter des preuves de la réalité physiopathologique de la migraine. Ainsi, de plus en plus d’études concluent que les symptômes d’hypersensibilité sensorielle liés à la migraine sont aussi impactants sinon plus que la douleur, et font partie intégrante du mécanisme de la migraine.
Il reste encore beaucoup de zones d’ombres, mais il ne subsiste plus de doutes :
« LA MIGRAINE N’EST PAS QU’UN BANAL MAL DE TÊTE »
Sources :
- Étude des relations entre le fardeau des symptômes d’hypersensibilité sensorielle multiple et l’incapacité liée aux maux de tête chez les patients atteints de migraine. (2021)
https://thejournalofheadacheandpain.biomedcentral.com/articles/10.1186/s10194-021-01294-8 - Intégration multisensorielle dans la migraine. (2013)
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4038337/#:~:text=Migraine%20attacks%20consist%20of%20moderate,prominent%20during%20individual%20migraine%20attacks. - Symptômes d’hypersensibilité sensorielle dans la migraine avec ou sans aura : résultats du registre américain pour la recherche sur la migraine. (2020)
https://americanheadachesociety.org/news/hypersensitivity-in-migraine/ - Physiopathologie et thérapie des caractéristiques associées à la migraine. (2022)
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC9455236/ - Le manque d’habituation est-il un biomarqueur de la migraine ? Un point de vue critique. (2015)
https://thejournalofheadacheandpain.biomedcentral.com/articles/10.1186/1129-2377-16-S1-A13 - Excitabilité corticale dans la migraine : apports de l’imagerie par résonance magnétique. (2021)
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0035378721006196 - Photo-, osmo- et phonophobie dans la phase prémonitoire de la migraine : confondre symptômes et déclencheurs ? (2015)
https://thejournalofheadacheandpain.biomedcentral.com/articles/10.1186/s10194-015-0495-7 - Compréhension actuelle de la structure et de la fonction thalamique dans la migraine. (2020)
https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0333102418791595?url_ver=Z39.88-2003&rfr_id=ori:rid:crossref.org&rfr_dat=cr_pub%20%200pubmed - Neuromodulation en neurologie et en psychiatrie. (2023)
https://www.elsevier.com/fr-fr/connect/neuromodulation-en-neurologie-et-en-psychiatrie - Phonophobie et excitabilité du tronc cérébral dans la migraine. (2020)
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33305448/
Mis en ligne le 29 janvier 2024.