« Je vous ai menti »
Oui, je peux vous le dire aujourd’hui, je vous ai forcément menti un jour. Et même : je le referai certainement, et sans complexe. C’est un drôle d’aveu hein ? Mais le plus important à savoir à propos de ces « mensonges », c’est qu’ils m’étaient nécessaires. Et sans le savoir, ils ont pu vous être tout aussi utiles.
Un texte de Miren Béhaxétéguy, bénévole à la Voix des Migraineux.
Je m’explique.
Je t’ai menti quand je t’ai dit par SMS un jour « Désolée, je ne viens pas, je suis crevée », alors que j’étais hagarde sur mon canapé avec un triptan, un pain de glace sur le front et les volets fermés à subir une migraine épouvantable.
Je t’ai menti quand, te sentant en pleine forme, je t’ai juste glissé « J’ai un peu mal à la tête mais ça va aller », me forçant à me joindre à notre groupe d’amis, pour vous faire plaisir et essayer d’en prendre aussi, alors que la migraine commençait déjà à aspirer mon énergie et ma concentration.
Je t’ai menti quand, à peine arrivée au travail et migraineuse depuis 3 jours, je t’ai dit « Oui la migraine s’est calmée hier soir, mais ça va aller aujourd’hui », alors qu’elle ne s’est interrompue que pour la nuit après un triptan, et qu’elle a repris dès le petit matin.
Je t’ai menti quand je t’ai dit « J’me sens pas très bien là, allez-y sans moi, je vais me reposer », alors que dès que vous aviez passé le pas de la porte, la migraine contenue depuis des heures a explosé et m’a terrassée les heures suivantes.
Je t’ai menti quand je t’ai dit « Oui, j’ai encore la migraine mais je vais la ramener en voiture, de toutes façons ya pas le choix, ça va aller », alors que, la tête et le corps en train de digérer triptan et codéine, je me suis ensuite efforcée de rouler lentement, précautionneusement, et de déclencher mon mode « hypervigilance » pour être sûre que rien n’allait arriver pendant ce trajet.
Je t’ai menti quand je t’ai dit « Passe à la maison comme prévu oui, c’est pas fou, j’ai une légère migraine mais j’ai pris un triptan, t’inquiète ça va bien finir par passer », alors que devoir rester un peu alerte, cuisiner un repas, tenir une conversation, je savais que cela me coûterait plus d’énergie que je n’en avais et que je me coucherais vide comme jamais.
Je t’ai menti quand j’ai répondu à ton SMS « Coucou, merci pour l’info ! Oui oui moi ça va bien, des migraines comme d’habitude mais ça va ça va ! Et toi alors, quoi de neuf ? Plein de bisous et hâte de te voir ! » avec plein d’émojis enjoliveurs d’état, de points d’exclamations et de « Et toi ? », alors que j’étais pour la Nième fois de la semaine dans le noir, au fond de mon lit, à lutter contre une furieuse envie de pleurer parce que la migraine ne passait pas ce jour-là encore.
Je vous ai menti quand j’ai envoyé un message sur notre groupe professionnel, vous disant « Non la migraine est encore là, je ne vais pas pouvoir venir bosser je suis vraiment vraiment désolée… », alors que la crise elle-même était passée. Mais comment vous expliquer qu’après la crise, j’étais une véritable loque ? Que je ne parvenais même pas à sortir de mon lit, encore moins à prendre une douche, alors rejoindre le boulot… !
Je vous ai menti quand j’ai ri, dansé, bu, parlé, alors que j’étais en crise. Vous n’y avez vu que du feu car vous étiez dans une euphorie qui laisse peu de place à l’empathie, et c’est tant mieux. Ou alors vous m’avez trouvée un peu molle ou pas très claire dans mes propos, mais vous l’avez mis sur le compte de la fatigue ou de l’alcool. Tant mieux. Ce jour-là, je ne voulais pas laisser la migraine tirer la couverture à elle, elle l’a de toutes façons forcément fait juste après, quand je me suis retrouvée seule.
Alors oui, je vous / je t’ai menti. Parfois pas totalement, parfois avec un aplomb incroyable, cachée derrière le clavier de mon téléphone ou arborant une « poker face ». Mais je l’ai fait pour tellement de (bonnes) raisons :
-Tu ne comprenais pas ce que signifiait le mot « migraines » et ça n’était pas le moment pour moi de te l’expliquer en détails.
-Tu étais si heureux/se de sortir ce jour-là en ma compagnie que je n’ai pas voulu te décevoir. Ou même, je savais que si je ne venais pas, tu n’irais pas.
-On ne s’était pas vu depuis longtemps et autant que toi, je ne pouvais accepter que la migraine me vole un moment en amicale compagnie, quitte à être diminuée à cette occasion.
-Il était impératif à ce moment-là de récupérer ou de raccompagner un proche ou un membre de la famille, et personne d’autre ne pouvait le faire. Que ne ferait-on pas, même dans un état second. Tous les malades chroniques le savent.
-Par SMS ou message, sur n’importe quel réseau social, je pouvais me permettre de cacher la crise ou la période affreuse que je traversais, et prétendre être en forme, avoir une vie en dehors de la maladie, ne pas être réduite à elle.
-…
Voilà. Ne m’en voulez pas. Je vous ai menti et je le referai.
Vous ne le saurez pas, parfois vous aurez un doute, mais c’est ma liberté que de choisir ce que je dis, ce que je montre, ce que je fais. Je n’ai pas envie d’être plainte en permanence.
Je sais que j’ai participé ainsi à l’invisibilité de la migraine, je sais que parfois, vous n’avez pas compris ma maladie ni sa chronicité ou son ampleur puisque je la masquais si bien.
Mais si je sais pertinemment que je ne serai pas comprise, parfois, je vous mentirai éhontément, juste pour que vous acceptiez mon absence ou que vous arrêtiez d’insister.
Et si je veux vous voir même avec une migraine, je vous dirai que je ne suis pas au sommet, mais que votre présence, elle, me fera peut-être le plus grand bien. Ou je vous dirai que je n’y arrive pas.
Si vous m’aimez, vous l’accepterez, dans un cas comme dans l’autre.
Et, souvent, souvent vous ne saurez/verrez rien. Ni à travers mes messages, ni à travers mon visage. Je sais faire, j’ai une longue expérience.
Ne vous en voulez pas.
Et ne m’en veuillez pas.
Mis en ligne le 5 novembre 2024.