La migraine chronique résistante aux traitements
Résumé de l’interview du Docteur Amaal STARLING
Migraine World Summit 2022
Lors du Sommet mondial de la migraine, le Dr Amaal Starling a abordé le difficile sujet de la résistance au traitement de la migraine chronique, avec comme objectif principal de comprendre comment procéder lorsque les traitements ont échoué.
Le Dr Amaal Starling est neurologue, spécialiste des maux de tête et professeure associée de neurologie à la Mayo Clinic College of Medicine. Elle est un membre actif de nombreuses organisations telles que la American Headache Society, l’American Migraine Foundation, l’American Pain Society et l’American Academy of Neurology.
Aux Etats-Unis, 6 millions de personnes vivent avec le handicap et la douleur d’une migraine chronique et 2 millions d’entre eux vivent avec une migraine chronique quotidienne. C’est ce groupe de personnes qui n’a pas trouvé de traitement efficace.
La migraine, nous explique le Dr Starling, est une maladie génétique neurologique, mais qui n’implique pas qu’un seul gène. C’est ce que nous appelons une maladie polygénique, car à ce jour, environ 200 variations différentes ont été identifiées. C’est cela qui fait que la migraine est un peu différente pour chacun, et c’est pourquoi un seul outil ne va pas fonctionner pour tout le monde et qu’il faut une pléthore d’outils à disposition.
MIGRAINE ÉPISODIQUE VERSUS MIGRAINE CHRONIQUE
Dans la médecine générale, le mot « chronique » fait référence à la durée de la maladie. Cependant, dans le cas de la migraine, il se réfère au nombre de jours pendant lesquels une personne présente des symptômes spécifiques. Ainsi, la « migraine chronique » est définie par le fait d’avoir 15 jours ou plus de maux de tête (15 jours de céphalées dont au moins 8 jours de migraines) par mois, dont au moins la moitié avec des caractéristiques migraineuses : sensibilité à la lumière et au son, nausées ou vomissements.
Au contraire, la « migraine épisodique » est, elle, définie par le fait d’avoir moins de 15 jours de maux de tête ou de migraine par mois. Voilà donc la différence entre la migraine chronique et la migraine épisodique. Il est très, très important d’obtenir un diagnostic précis de la migraine chronique, car c’est ce qui guidera les recommandations de votre professionnel de santé quant aux options qui s’offrent à vous.
COMMENT LES PATIENTS DEVIENNENT-ILS MIGRAINEUX CHRONIQUES ?
La majorité des personnes qui souffrent de migraines chroniques sont passées de la migraine épisodique à la migraine chronique. L’incidence de cette transformation est d’environ 3 % par an : 3 % des personnes qui souffrent de migraines épisodiques vont chaque année évoluer en migraineux chroniques.
De nombreux facteurs existent pouvant augmenter le risque de transformation de la migraine épisodique en migraine chronique. Le professeur cite notamment les suivants :
- Un indice de masse corporelle élevé répondant aux critères de l’obésité ;
- L’asthme ;
- Des troubles du sommeil comme l’insomnie ou le ronflement ;
- Des troubles de l’humeur comme la dépression ou l’anxiété ;
- Ou d’autres douleurs chroniques.
La bonne nouvelle, c’est qu’il s’agit d’un phénomène bidirectionnel – même si l’on peut se transformer en migraineux chronique, on peut aussi revenir en arrière et se transformer en migraineux épisodique.
RECHERCHER TOUS LES FACTEURS AVANT DE PRENDRE UN TRAITEMENT
La professeure conseille aux patients de bien s’assurer de reconfirmer le diagnostic et d’exclure la possibilité d’autres maux de tête secondaires, puis de rechercher les obstacles et les comorbidités. Certaines affections, comme celles dont nous avons parlé précédemment, ne sont pas seulement des facteurs de risque de migraine chronique, mais aussi des facteurs de risque de migraine chronique réfractaire (lorsque les options de traitement sont inefficaces).
Ainsi, si une personne souffre d’un problème de santé important (cela inclut la dépression, l’anxiété, les douleurs chroniques, l’insomnie ou encore l’apnée du sommeil) ou d’autres affections, cela peut exacerber ou déclencher la migraine. Il faut donc identifier ces comorbidités et obstacles potentiels afin de les traiter pour en améliorer ces aspects. Après cela, le patient peut alors commencer à se concentrer sur le traitement de la migraine proprement dit.
SURCONSOMMATION DE MÉDICAMENTS ET PROCESSUS D’HYPERSENSIBILITÉ À LA DOULEUR
Un sujet brûlant dont il faudrait parler davantage, ce sont les céphalées dues à la surconsommation de médicaments. Il est difficile de savoir si la surconsommation de médicaments est à l’origine des maux de tête, et surtout d’identifier quelle en est la résonance sur l’approche thérapeutique.
Loin de nous l’idée de juger les prises de médicament des patients. D’ailleurs le Dr Starling insiste bien sur le fait que les patients ne prennent pas leurs médicaments pour le plaisir ou parce qu’ils n’ont rien d’autre à faire. Ils prennent ces médicaments parce qu’ils sont handicapés par les symptômes et qu’ils essaient de vivre leur vie et de se sentir mieux. Cependant, certaines données montrent que, chez certaines personnes, l’utilisation excessive de médicaments ponctuels peut conduire à un processus appelé la « sensibilité centrale » ou « l’hypersensibilité à la douleur » du cerveau. Il existe en effet des réseaux de la douleur dans le cerveau, et certains de ces médicaments peuvent les renforcer. Le cerveau commence, en quelque sorte, à être hypersensible à la douleur.
Dans un cas comme celui-ci, la sensibilité centrale ou hypersensibilité du cerveau est la maladie sous-jacente (la maladie chronique), et non la migraine en elle-même. C’est donc cette hypersensibilité qui cause la douleur migraineuse. C’est ce qui se passe dans le cerveau des personnes qui développent la migraine chronique. Les réseaux de la douleur qui se trouvent dans le cerveau sont alors hypersensibles aux stimuli. Pour le professeur Starling, il est certain que les personnes qui souffrent de migraine chronique présentent une sensibilité centrale ou hypersensibilité à la douleur.
Le Dr prévient donc les patients qui utilisent fréquemment des médicaments en vente libre ou des triptans que cela peut aggraver la sensibilité centrale et les transformer en migraineux chroniques. Elle conseille d’en parler auprès du médecin ou neurologue si vous remarquez que vous utilisez ces options au moins deux fois par semaine.
Récemment, de nombreuses recherches ont été menées avec succès sur la rééducation du cerveau afin de briser le cycle de la sensibilité centrale. En attendant ces développements, d’autres solutions sont possibles.
ALTERNATIVES AUX TRAITEMENTS
Il faut proposer aux patients des approches pour traiter les exacerbations de la douleur crânienne qui ne nécessitent pas toujours l’utilisation d’un médicament susceptible d’entraîner une surconsommation, une surutilisation ou une aggravation de la maladie sous-jacente ou chronique. Et nous disposons aujourd’hui de plusieurs de ces options.
DISPOSITIFS DE NEUROMODULATION
Il existe autant de dispositifs disponibles pour la neuromodulation comme il existe de traitements de la migraine. Et quand on regarde tout ce qui est disponible pour la migraine – ils sont tous efficaces chez environ 50 % des patients. Et d’un point de vue préventif, ils agissent tous en réduisant la fréquence des crises d’environ 50 %.
AJUSTEMENT DU MODE DE VIE
Il est essentiel de commencer par des changements de mode de vie comme traitement préventif. Ainsi, la professeur Starling parle toujours des « SEEDS » à ses patients, quelle que soit la fréquence de la migraine, et ceci pour une gestion réussie de la migraine. Il s’agit d’un acronyme (en anglais) qui signifie :
- Hygiène relative au sommeil – Sleep ;
- Exercice physique régulier – Exercise ;
- Alimentation saine et moins transformée – Eat healthy ;
- Boire de l’eau et prévenir la déshydratation – Dehydration ;
- Et enfin, la gestion du stress – Stress management.
L’adaptation de ces habitudes peut permettre d’éviter l’utilisation excessive des médicaments nécessaires et passer à l’option de traitement plus sûre et plus efficace qui permettra une meilleure fonction et une meilleure qualité de vie. Cela représente une optimisation du régime de traitement préventif.
Il existe aussi des techniques bio-comportementales comme la thérapie cognitivo- comportementale, la méditation, les techniques de pleine conscience, la relaxation musculaire progressive. Ces techniques ont fait l’objet d’essais cliniques et ont démontré qu’elles étaient bénéfiques et qu’elles étaient très efficaces
HYGIÈNE DE VIE ET CULPABILITÉ
Rappelons que la migraine a une composante génétique importante, et de nombreuses personnes qui ont un mode de vie horrible ou très malsain n’ont pas de migraine. Puisqu’il s’agit principalement d’une maladie neurologique génétique, ce n’est donc pas la faute du patient, c’est dans son ADN. Le Dr Starling insiste sur le fait qu’il faut laisser tomber cette culpabilité. Pour elle, la culpabilité devrait s’appliquer uniquement aux criminels. Si l’on ne fait pas quelque chose de contraire à l’éthique, d’immoral ou de méchant, il n’y a aucune raison de culpabiliser. On ne le dira jamais assez, il ne faut donc pas se sentir coupable d’avoir une migraine.
En recommandant d’ajuster les habitudes liées aux SEEDS, il ne s’agit donc pas de faire culpabiliser les patients par rapport à leur style et hygiène de vie. Simplement, il y a des choses que le patient peut contrôler et qui peuvent devenir des facteurs positifs, améliorant ainsi la prévention des migraines. Ce sont des choses qui ne sont pas seulement bonnes pour la migraine, mais aussi pour la santé générale, le bien-être et la longévité.
LES « SEEDS » ET LE SEUIL DE DÉCLENCHEMENT DES MIGRAINES
Il s’agit en fait de repérer le « seuil » de déclenchement des migraines. En effet, certains facteurs sont hors de notre contrôle et d’autres sont à notre portée. Par exemple, certaines migraines sont déclenchées par le climat, et nous ne pouvons pas contrôler cela. De la même manière, parfois on peut avoir une mauvaise nuit de sommeil, sans raison apparente. Mais si l’on ajuste les SEEDS qu’il est possible de contrôler, alors il y aura une réelle optimisation de la gestion de la migraine et de l’utilisation des outils de traitement préventif. Par exemple, il peut y avoir un changement de temps, un stress accru au travail ou à l’école, un mauvais sommeil, mais si d’autres facteurs ont été bien contrôlés, comme l’alimentation, tous ces déclencheurs potentiels fluctuent sans déclencher de crise migraineuse. Il s’agit là de trouver le bon équilibre. Ainsi, lorsque vous utilisez votre SEEDS, pensez à la façon dont, avec ces outils, vous rendez moins probable le déclenchement d’une crise de migraine.
CONCLUSION
Toutes ces solutions et dispositifs disponibles et utilisables en tant qu’outils, le Dr Starling ne les emploie pas seulement pour les patients qui ont trouvé tout le reste inefficace, mais plutôt comme des outils supplémentaires. Par exemple, il y a beaucoup de patients qui ne veulent pas utiliser un médicament quelle que soit sa forme (orale, injectable), il faut donc respecter cela et proposer d’autres solutions. Pour terminer cette conférence, le Dr Starling veut donner de l’espoir aux patients migraineux qu’elle qualifie de « guerriers ». Elle souhaite qu’ils n’abandonnent jamais et surtout qu’ils continuent à collaborer avec leurs professionnels de santé pour viser l’amélioration des fonctions et de la qualité de vie. Plusieurs options sont disponibles, et chaque année, de nouvelles options voient le jour. Il est toujours possible de trouver une association de traitements et de solutions afin d’atteindre ces objectifs. N’abandonnez jamais !
Source : https://migraineworldsummit.com/talk/when-nothing-works-treatment-resistant-chronic-migraine/
Traduction de Morgane Rivera Vargas, bénévole à la Voix des migraineux
Mise à jour le 9 septembre 2022
Consultez d’autres articles sur la migraine rédigés ou traduits par nos soins