La kinésithérapie : questions/réponses
La rééducation, un ensemble d’interventions non-médicamenteuses qui peut venir en aide aux patients migraineux
Anthony Demont, kinésithérapeute à Paris, docteur en santé publique et chercheur associé à l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale a accepté de répondre à nos questions.

La Voix des Migraineux : Tout d’abord, pouvez-vous nous définir succinctement ce qu’est la kinésithérapie ?
Anthony Demont : La kinésithérapie est une discipline de santé, une science clinique et un art, centrée sur le mouvement et l’activité de l’humain. La kinésithérapie, exercée dans un but thérapeutique ou non, intervient à partir d’un diagnostic kinésithérapique, notamment au moyen de techniques manuelles et instrumentales, elle favorise la santé, la bonne forme physique et le mieux-être des personnes (source : Conseil National de l’Ordre des Kinés).
LVDM : Existe-t-il plusieurs spécialités ?
Anthony Demont : Il n’existe pas officiellement de spécialité comme en médecine (cardiologie, neurologie, etc…) puisque les kinésithérapeutes peuvent s’ils le souhaitent exercer à la fois auprès de personnes souffrant de migraine, ayant subi un traumatisme à la cheville, ayant une incontinence urinaire, atteint d’une maladie de Parkinson ou encore de vertiges. Toutefois, de nombreux kinésithérapeutes font le choix d’exercer préférentiellement dans certains champs en développant une spécificité d’exercice non exclusive pour la prise en charge de certaines pathologies. Les principaux champs reconnus dans lesquels les kinésithérapeutes sont amenés à accompagner des patients sont (source : Conseil National de l’Ordre des Kinésithérapeutes) :
- Rééducation du système musculo-squelettique ;
- Rééducation en neurologie ;
- Rééducation en pédiatrie ;
- Rééducation cardiaque et respiratoire ;
- Rééducation vasculaire et lymphatique ;
- Rééducation en cancérologie ;
- Soins palliatifs et accompagnement ;
- Rééducation des troubles liés à l’âge et en gériatrie ;
- Rééducation et santé mentale ;
- Éducation à la santé, prévention et ergonomie ;
- Rééducation des troubles de l’équilibre et vestibulaire ;
- Rééducation en pelvi-périnéologie ;
- Rééducation maxillo-faciale ;
- Rééducation oro-maxillo-faciale ;
- Gestion de la douleur ;
- Kinésithérapie du sport ;
- Kinésithérapie des lésions cutanées et des cicatrices
- Activité physique adaptée et Sport santé
Ainsi, la prise en charge en rééducation de la migraine s’inscrit à la fois dans la rééducation en neurologie et du système musculo-squelettique selon les besoins de chaque patient.
LVDM : Quelles sont les études pour devenir kinésithérapeute ?
Anthony Demont : Pour devenir kinésithérapeute, il faut suivre une formation universitaire de cinq ans après le baccalauréat. Cela comprend une première année universitaire d’études de santé via le portail à accès spécifique santé (PASS) ou la licence à accès santé (LAS) suivie de quatre années universitaires en Institut de Formation en Masso-Kinésithérapie (IFMK). Ces cinq années sont sanctionnées par l’obtention d’un diplôme d’état de kinésithérapeute reconnu comme un niveau Master.
LVDM : Un kinésithérapeute est-il un médecin ?
Anthony Demont : Non, un kinésithérapeute n’est pas un médecin, mais un professionnel de santé diplômé dont l’exercice est réglementé et encadré par le Code de la Santé Publique et un Code de Déontologie. Son diplôme ne lui permet pas par exemple de prescrire des médicaments, ni d’examens à visée diagnostique comme une radiographie. Les kinésithérapeutes sont en très grande majorité conventionnés avec l’Assurance Maladie et peuvent prendre en charge un patient ayant une prescription de rééducation délivrée par un médecin mais aussi dans certains cas en accès direct sans prescription.
LVDM : En quoi la kinésithérapie est-elle une intervention non-médicamenteuse ?
Anthony Demont : La kinésithérapie regroupe un ensemble d’interventions non-médicamenteuses car elle se base principalement sur des techniques et des approches qui n’impliquent pas l’usage de médicaments ou de substances chimiques. Cette discipline de la santé utilise un éventail de méthodes manuelles et instrumentales pour traiter diverses affections, y compris la migraine, en agissant directement ou indirectement sur le corps humain.
La pratique de la kinésithérapie commence souvent par une évaluation approfondie et un diagnostic kinésithérapique, permettant à ce professionnel de santé de comprendre les besoins spécifiques de chaque patient. Cette évaluation initiale est cruciale pour définir un plan de traitement personnalisé, qui peut inclure diverses techniques telles que des techniques manuelles, l’usage d’appareils spécifiques, des conseils en ergonomie, ou encore des exercices de rééducation.
Le kinésithérapeute intervient donc à plusieurs niveaux :
- Thérapies directes impliquant de manière non exhaustive des mobilisations manuelles. Ces techniques peuvent être indiquées lorsque la fréquence de la migraine est telle qu’elle génère des douleurs cervicales en dehors des épisodes.
- Promotion et éducation en santé impliquant de manière non exhaustive la délivrance d’informations aux patients sur les meilleures pratiques pour gérer leur condition au quotidien, ce qui peut inclure des conseils et des changements comportementaux sur l’activité physique, le sommeil, et la gestion du stress afin de réduire le risque de chronicisation de la migraine.
- Prévention impliquant de manière non exhaustive l’identification des facteurs de risque et en conseillant les patients sur comment les éviter ou les modifier.
- Évaluation, conseil et recherche : En participant à la recherche, les kinésithérapeutes contribuent à l’amélioration des pratiques et à la validation de nouvelles approches thérapeutiques.
Ces interventions sont principalement non invasives et personnalisées, visant à améliorer la qualité de vie des patients souvent parallèlement à la prescription de traitements médicamenteux. En cela, la kinésithérapie se distingue clairement des traitements médicamenteux.
LVDM : En quoi peut-elle être utile aux patients migraineux ?
Anthony Demont : La kinésithérapie peut être utile aux patients migraineux car certaines interventions en rééducation ciblent plusieurs des mécanismes de déclenchement et de chronicisation de la migraine, tels que les troubles musculosquelettiques s’associant avec la migraine lorsqu’elle se chronicise (douleur chronique cervicale par exemple) ainsi que les troubles des systèmes neurologiques de la douleur. Les techniques utilisées visent à réduire ce que l’on appelle la « sensibilisation périphérique » du système nerveux (soit la sensibilité accrue par exemple de la base du crâne à des efforts de faible intensité) et la « sensibilisation centrale » du système nerveux, à améliorer la mobilité cervicale, à diminuer la sensibilité des muscles du cou et/ou du crâne, et à enseigner au patient des stratégies de gestion de la douleur, ce qui peut contribuer à réduire la fréquence et l’intensité des crises de migraine.
LVDM : Quelle est ou quelles sont les approches qui ont été démontrée par la science comme pouvant soulager la migraine ?
Anthony Demont : Les interventions en rééducation ayant démontrées des effets sur le court et/ou le long terme sur la fréquence et/ou l’intensité de la migraine incluent principalement :
- La réalisation d’exercices ciblant le renforcement des muscles profonds du cou afin de lutter contre la perte de masse musculaire corrélée à la fréquence des épisodes de migraine,
- L’exposition graduelle à des sollicitations musculaires des régions des épaules, des omoplates et de la nuque afin de « réentrainer » le système nerveux à tolérer plus d’effort et donc réduire les facteurs déclencheurs de migraine en relation avec des efforts physiques,
- La réalisation d’activité physique aérobie (effort d’intensité très progressif visant l’augmentation de la fréquence cardiaque) visant à améliorer sur le long terme le fonctionnement biologique du système nerveux lorsqu’il fait face à des changements de rythme, réduisant sur le long terme la fréquence des migraines,
- Certaines techniques de biofeedback (utilisant des instruments pour un objectif de relaxation par exemple) peuvent potentiellement aider à réduire l’intensité et la durée des crises de migraine sur le court terme,
- Enfin, de manière non spécifique aux kinésithérapeutes, la délivrance de conseils pour améliorer son mode de vie au regard des principaux facteurs de risque pouvant conduire à une aggravation de la migraine (ex : pratique de certaines activités physiques, gestion du sommeil, etc…) ainsi que la mise en place de stratégies comportementales visant à améliorer la gestion de l’apparition et l’aggravation d’une crise de migraine font pleinement partis de la kinésithérapie et permettent sur le long terme de réduire la fréquence et l’intensité des crises de migraine.
Ces interventions ne sont pas systématiquement applicables chez l’ensemble des patients souffrant de migraine mais dépendent à la fois des facteurs déclencheurs et aggravants spécifiques à chaque individu, des autres pathologies potentiellement présentes qui peuvent interférer avec la migraine et de la réponse individuelle aux traitement habituellement proposés.
LVDM : Combien de temps faut-il attendre avant d’en voir les effets ?
Anthony Demont : Une réponse tranchée est évidemment difficile à apporter puisque comme pour les traitements médicamenteux à visée préventive, les effets de la rééducation peuvent être ressentis à court ou long terme selon le mécanisme physiopathologique sur lequel on cherche à agir et surtout si les facteurs entretenant ces mécanismes ont bien été pris en compte et que l’ensemble des traitements médicamenteux et de rééducation ont été mises en place pour y faire face. Par exemple, les effets observés de la mise en place d’une activité physique cardio-respiratoire visant à participer à la réduction de la fréquence des migraines peuvent être perçus sur le long terme après 3 mois de pratique, à condition que les facteurs entretenant la fréquence soient mieux gérés par des changements comportementaux, du mode de vie et selon les cas avec un traitement médicamenteux préventif. Un autre exemple, les effets de la mise en place de rééducation visant le cou pour réduire l’intensité d’épisodes de douleur cervicale apparus parallèlement à la migraine peuvent être observés à partir de 3 semaines.
LVDM : Et d’ailleurs, comment peut-on objectiver une évolution positive ? Comment est-elle évaluée ?
Anthony Demont : Les critères d’évaluation des effets observés sont les mêmes que ceux habituellement utilisés pour les traitements médicamenteux. L’amélioration peut être mesurée à partir de nombreux indicateurs suivis tels que ceux collectés avec un agenda des migraines comme la fréquence et de l’intensité des migraines, la mobilité du cou, la capacité à tolérer davantage de situations susceptibles de déclencher des épisodes de migraine au travers d’objectifs fonctionnels (mesuré à l’aide de questionnaire) et la qualité de vie mesurée par le retentissement de la migraine sur la vie de la personne.
LVDM : Cette approche permet-elle d’arrêter les traitements médicamenteux ?
Anthony Demont : Étant donné que la kinésithérapie vise à participer à la réduction de la fréquence et de l’intensité de la migraine selon le contexte du patient, l’objectif est bien entendu de permettre surtout la réduction de la consommation de traitements médicamenteux à visée préventive. Toutefois, il n’y a à ce jour aucune intervention en kinésithérapie retrouvé suffisamment efficace pour enrayer le démarrage d’une crise de migraine afin de ne pas prendre par exemple un triptan. L’enjeu de la rééducation est davantage focalisé sur l’amélioration des comportements adoptés pour mieux gérer les facteurs déclencheurs modifiables du patient et ainsi réduire le nombre d’épisodes de migraine.
LVDM : Cette approche est démontrée par la science. Qu’est-ce qui cela signifie ? Comment est-ce démontré ?
Anthony Demont : Quand on dit qu’une approche est « démontrée par la science« , cela signifie qu’elle a été validée à travers des recherches rigoureuses et des études cliniques qui examinent son efficacité et sa sécurité pour des populations de patients spécifiques. Pour la kinésithérapie dans le contexte de la migraine, cela implique l’analyse des effets des différentes techniques sur les indicateurs évoqués plus haut. Les études utilisent généralement des groupes contrôlés qui sont évidemment plus difficiles à mettre en place comparativement aux médicaments et des méthodologies standardisées pour s’assurer que les résultats soient fiables et reproductibles, permettant ainsi aux professionnels de la santé de recommander ces approches basées sur des preuves.
LVDM : Figure-t-elle dans les recommandations internationales de traitements de la migraine ?
Anthony Demont : Plusieurs des interventions en kinésithérapie sont intégrées aux recommandations de pratique pour la prise en charge multidisciplinaire de la migraine. Toutefois, plusieurs interventions reposent sur des données scientifiques émergeantes même si de plus en plus d’études viennent soutenir leurs effets comme l’activité physique cardio-respiratoire pour réduire la fréquence des épisodes de migraine. Enfin, le niveau de recommandation de la kinésithérapie est toujours plus faible comparativement à celui des médicaments. Ce constat n’est pas lié à la faiblesse de l’effet de ces interventions mais lié à la méthodologie des études dont l’intégration d’un « placebo » est beaucoup plus facile à mettre en place pour les médicaments comparativement à celles menées sur des interventions de kinésithérapie afin d’en évaluer les effets spécifiques.
La Voix des Migraineux remercie Anthony Demont d’avoir prit le temps de répondre à ces questions.
Mis en ligne le 27 avril 2025