Migraine, phonophobie et acouphènes

phonophobie

Un article rédigé par Morgane Rivera Vargas, bénévole, et Sabine Debremaeker, présidente, de la Voix des Migraineux

Les crises de migraine entraînent généralement une hypersensibilité aux stimuli sensoriels, ce qui signifie qu’au moins un des sens de l’ouïe, du toucher, de la vue, du goût et/ou de l’odorat devient plus sensible. L’ouïe et la vue sont le plus souvent affectées par les crises de migraine.

Dans cet article, nous traiterons plus spécifiquement des troubles de l’audition et la migraine.

QUELQUES DÉFINITIONS 

L’acuité auditive est la capacité de l’oreille à percevoir les sons.
Elle se compose de deux phénomènes. La transmission du signal sonore de l’oreille externe vers l’oreille interne passe par les tympans et les osselets. La perception est la transformation du signal sonore en influx nerveux ; elle se fait au niveau de l’oreille interne. 

L’audition ou “bien entendre” : 

Il faut bien comprendre que dans la perception d’un son, il y a 3 aspects : un traitement physique qui permet la transmission du stimulus auditif perçu par l’oreille vers le cerveau, un traitement cognitif qui permet au cerveau de donner un sens au son perçu, et un traitement émotionnel. À intensité égale, le bruit de la pluie nous calme…

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… alors que le sifflement d’un serpent nous terrifie. 

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Au fur et à mesure, nous apprenons aussi à distinguer les sons importants de ceux qui ne le sont pas, le bruit de fond par exemple.
Bien entendre n’est donc pas qu’une mécanique de l’oreille bien huilée.
Pour un conducteur, le moteur fait du bruit, alors que le mécanicien pourra identifier un dysfonctionnement en partie grâce au son. Avec une même acuité auditive, nous n’entendons pas tous de la même façon. Nos émotions, nos connaissances, nos expériences et la nécessité sont toutes des composantes qui impactent la façon dont nous percevons les sons. 

L’hyperacousie décrit un inconfort physique ou une douleur quand un son atteint une intensité qui serait tolérable pour la majorité des personnes. Cette réactivité accrue peut entraîner l’apparition d’acouphènes. 

La phonophobie signifie littéralement en grec “peur du bruit”. Selon la définition qu’en donnent les audiologistes, il s’agit de la crainte anticipée du bruit, de la peur du malaise qu’il pourrait déclencher.

La misophonie fait référence à des réactions émotionnelles intenses à certains sons, sans que ce soit influencé par l’intensité des sons perçus. 

Les acouphènes se réfèrent à la perception d’un son sans source extérieure. Les sons perçus sont différents d’une personne à l’autre. La plupart des personnes les décrivent comme des sifflements, des bourdonnements.


À noter

Les auteurs de l’article Conditions de tolérance sonore (hyperacousie, misophonie, sensibilité au bruit et phonophobie) : définitions et prise en charge clinique (2022), soulignent que les neurologues utilisent le terme phonophobie pour la migraine, alors que c’est une condition différente de celle décrite par les audiologistes. En conclusion, ils relèvent une certaine incohérence dans l’utilisation des termes qui indique un manque de consensus. Pour eux, il est important que les professionnels s’accordent sur la définition des termes afin de s’aligner pour une bonne prise en charge des patients.


LA « PHONOPHOBIE » CHEZ LES MIGRAINEUX 

En bref, chez les migraineux, la crise déclenche une hypersensibilité au son. Celle-ci peut aller de l’hyperacousie, c’est-à-dire un trouble de l’audition se manifestant par une sensibilité excessive à certains sons, jusqu’à la phonophobie, la crainte du bruit.

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Lors des crises de migraine, la phonophobie se manifeste chez 70 à 80 % des patients migraineux au cours d’une crise aiguë. Des études montrent que si l’hyperacousie / phonophobie est plus intense durant les crises, elle persiste entre celles-ci pour une proportion importante de patients. La phonophobie est caractéristique de la migraine puisqu’elle figure parmi les symptômes pris en compte dans les critères diagnostiques de la migraine avec et sans aura par l’IHS (International Headache Society).

Chez les non migraineux, l’hyperacousie peut survenir après un choc très bruyant par exemple. La phonophobie qui en résulte est dans ces cas-là plutôt d’ordre psychologique. Le migraineux phonophobe évite le bruit, non par peur, mais parce que le bruit aggrave la douleur et le mal-être ressenti durant la crise.

Les symptômes de la phonophobie :

Différents symptômes semblent indiquer une hyperacousie tels que la fatigue, le mal de tête, la sensation d’oreille bouchée. De plus, elle s’accompagne souvent d’acouphènes, et peut augmenter l’intensité de ces derniers.

Des symptômes de la phonophobie peuvent inclure une ou plusieurs des sensations suivantes :

Les mécanismes :

Depuis des décennies, de nombreuses études ont été entreprises et publiées. Une partie de celles-ci repose sur l’observation des patients et les réponses qu’ils donnent à des questionnaires. Cela permet d’établir des statistiques sur la fréquence des symptômes d’hypersensibilité sensorielle comme la phonophobie, et les conséquences de ceux-ci. L’existence de ces symptômes ne fait pas de doute.

Ces constats ne permettent pas d’établir les causes et/ou les mécanismes de cette hypersensibilité. Les multiples études réalisées lèvent un peu le voile sur l’importance et l’implication de ces troubles dans le mécanisme de la migraine. Cependant, de nombreuses questions restent sans réponse.

La migraine se présente en 3 ou 4 phases : prodrome (phase annonciatrice), aura (pour 25 % des malades), céphalée, postdrome (phase de récupération).

La migraine est due à une hyperexcitabilité neuronale liée à des prédispositions génétiques. La céphalée en elle-même est secondaire à la dilatation et à l’inflammation des vaisseaux sanguins, en particulier ceux des méninges. Ces modifications sont provoquées par l’activation anormale du système trigéminovasculaire. 

Dans le cadre d’une étude publiée en 2020, des chercheurs ont réuni 61 migraineux et 101 témoins. Ils ont constaté que le seuil de déclenchement de l’hyperexcitabilité neuronale était obtenu avec un niveau sonore significativement plus faible chez les migraineux, que chez les non migraineux. Et ce niveau sonore déclencheur était encore plus faible chez les migraineux chroniques.
La qualité de vie a été évaluée avec l’échelle MIDAS*. Les scores étaient d’autant plus importants que le seuil de déclenchement était bas, démontrant ainsi l’ampleur du handicap. Les études d’imagerie ont montré des réponses inhabituelles aux stimuli dans l’ensemble du cerveau des personnes souffrant de migraine.


À noter

*L’échelle MIDAS (MIgraine Disability ASsessment) est utilisée pour évaluer l’incapacité liée aux maux de tête. Cette échelle se compose de plusieurs questions qui portent sur l’incapacité ou le manque de productivité dans les sphères familiales, professionnelles et les tâches domestiques. Elle évalue le nombre de jours impactés par la maladie, soit en incapacité, soit en manque d’efficacité, sur les 90 derniers jours. Plus le nombre de jours est élevé, plus le handicap est important.


Plusieurs études démontrent un traitement inadapté des stimuli sensoriels chez les migraineux. Il serait relié à une défaillance du processus d’habituation. En clair, les migraineux ne reconnaîtraient pas certains sons comme habituels, et leur cerveau y réagirait à chaque fois comme à un nouveau son. 

Prodromes ou déclencheurs ?

En 2015, des chercheurs ont tenté de déterminer si les symptômes d’hypersensibilité sensorielle comme la phonophobie étaient des déclencheurs, ou faisaient partie intégrante du prodrome. Ils ont été confrontés à plusieurs difficultés. Ils soulignent que, parce que les malades prennent comme repère de la crise la phase douloureuse, il peut être difficile d’identifier la phase prémonitoire ou prodrome. Ils en concluent que de nombreux éléments considérés comme déclencheurs seraient en réalité des symptômes du prodrome.

Les acouphènes :

Une revue systématique a analysé de nombreuses études afin d’identifier un lien entre migraine, acouphènes et perte auditive. En majorité, ces études ont constaté une association entre migraine et acouphènes, et migraine et perte auditive.
La majorité des patients présentant une hyperacousie rapportent des acouphènes.
L’origine peut être traumatique. Ils apparaissent fréquemment avec la baisse de l’audition.
Ils fonctionnent un peu comme la perception d’un membre fantôme. Les oreilles n’envoient pas les bonnes informations sonores au cerveau. En l’absence de celles-ci, le cerveau élabore un son fantôme.

FOIRE AUX QUESTIONS 

Est-ce réversible ?

Dans le cas de la migraine, un traitement adapté peut permettre de diminuer ou supprimer les symptômes d’hyperacousie, de phonophobie et d’acouphènes.

Est-ce grave ?

L’hyperacousie, la photophobie et les acouphènes en eux-mêmes ne présentent pas de risques pour la santé. Les conséquences, par contre, peuvent avoir un impact plus ou moins important selon les personnes :

Le patient développe peu à peu une phobie du son qui se traduit par une hypervigilance excessive : port de bouchons d’oreille en permanence, refus de fréquentation d’endroits bruyants et très fréquentés comme les transports en commun ou les terrasses de café. À terme, elle peut même conduire à une exclusion sociale.

Quand consulter ? 

Vous avez tellement peur du bruit que vous portez en permanence des bouchons d’oreille ? Vous ne prenez plus les transports en commun ? L’idée même d’aller faire des courses dans un centre commercial ou d’assister à une fête de famille vous rend malade ? Il est préférable de consulter un ORL avant que cette phonophobie n’ait de lourdes conséquences sur votre vie sociale.

En bref, si l’hyperacousie, la photophobie et/ou les acouphènes ont un impact important sur votre qualité de vie, il est important de consulter. Il en est de même si vous êtes très inquiet.

Quels professionnels consulter ?

L’ORL est le professionnel de référence en ce qui concerne les troubles de l’audition. Il peut se mettre en lien avec votre neurologue. Il pourra évacuer les pathologies alternatives :

Un traitement est-il nécessaire ?

L’utilisation de médicaments parfois prescrits est généralement inefficace, et source d’effets indésirables inutiles. Ils peuvent éventuellement réduire l’anxiété consécutive à l’inconfort ressenti.
Il n’existe pas vraiment de traitement unique et disponible pour guérir la phonophobie.
Cependant, certaines thérapies se sont avérées utiles pour aider des personnes à faire face aux symptômes associés à la phonophobie. L’objectif est d’améliorer le niveau de tolérance à l’intensité des sons et diminuer l’anxiété. Il est impératif de limiter l’évitement permanent du bruit car cela favorise la désaffection sociale.

Il n’existe aucune solution magique. Cependant, l’accompagnement du malade est important.
La thérapie d’exposition et la thérapie cognitivo-comportementale sont parmi les plus pratiquées, avec une amélioration significative ressentie pour les patients qui y adhèrent. Elles peuvent être utilisées en combinaison avec des médicaments sur ordonnance, pour aider à réduire l’anxiété et soulager le stress. Il existe des thérapies musicales (musicothérapie) permettant de travailler sur le long terme. Elle induit une relaxation qui permet d’aborder en douceur le travail de réhabituation.

Lorsque l’hyperacousie est prise en charge de façon précoce, le port de bruiteurs est fréquemment recommandé. Ce sont des dispositifs médicaux qui permettent d’adoucir certains sons et qui peuvent conduire à une guérison totale en 6 à 8 mois. Mais leur efficacité est controversée, le Professeur Gerhard Hesse, médecin ORL en Allemagne et spécialiste des acouphènes, alerte sur les dangers du bruit blanc pour l’audition. Selon lui, l’écoute de bruits blancs endommagerait l’intégrité fonctionnelle et structurelle du système auditif central et du cerveau en général.

Dans les cas de baisse d’audition, même légère, le port de prothèses auditives peut sensiblement améliorer la perception des acouphènes et de l’hyperacousie. La correction de l’audition permet souvent de diminuer les acouphènes en restituant les bonnes informations au cerveau. Les prothèses, y compris celles prises en charge à 100 %, intègrent un émetteur de bruit blanc, qui lui aussi peut diminuer la perception des acouphènes si la correction ne suffit pas. Enfin, la plupart des prothèses disposent d’un procédé qui permet de diminuer les bruits de fond, et, pour les plus avancés, les bruits forts inattendus.

Puis-je faire quelque chose pour diminuer l’impact de ce symptôme sur ma vie quotidienne ?

Généralement, les personnes qui souffrent de phonophobie ont des fonctions auditives en bon état. Néanmoins, elles ont tendance à s’isoler ou éviter les sources de bruit gênant.

Cette réaction est complètement normale, car elles estiment que les bruits ont une conséquence néfaste sur leur bien-être. La surprotection n’est cependant pas la meilleure option.

N’hésitez pas à parler autour de vous de votre problème et de ses conséquences. Tout le monde ne sera pas forcément à l’écoute, mais cela viendra progressivement. Si l’on ne dit rien, les autres ne peuvent pas savoir.

Pour votre bien-être, il est très important de garder une vie sociale. N’hésitez pas à aller chez des amis ou à en recevoir. Il est possible que vous soyez plus à l’aise avec quelques personnes qu’avec une grande assemblée bruyante. Si possible, ne vous privez pas d’écouter de la musique ou de regarder la télévision en ajustant le son à vos possibilités.

Dans les milieux bruyants, il est possible de porter des bouchons d’oreille ou des casques anti-bruit. Ceux-ci peuvent filtrer les bruits de fond et vous permettre de suivre une conversation ou d’assister à un spectacle.

Par contre, l’utilisation permanente de bouchons d’oreilles, de casques anti-bruit, ou vivre dans le silence, ne sont vraiment pas conseillés. Outre le risque d’aggraver votre phonophobie, cela pourrait entraîner des acouphènes et des troubles de l’audition.

« Bien entendre » participe des fonctions cognitives, « ne rien entendre » pourrait avoir des conséquences sur celles-ci. Il est important d’avoir des interactions sociales pour son bien-être et pour maintenir ses capacités cognitives en bonne forme.

Sources :

Migraine et risque de surdité neurosensorielle soudaine : revue systématique et méta‐analyse https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7752063/

Fondation pour l’audition https://www.fondationpourlaudition.org/lhyperacousie-502

Conditions de tolérance sonore (hyperacousie, misophonie, sensibilité au bruit et phonophobie) : définitions et prise en charge clinique https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35858241/

Symptômes d’hypersensibilité sensorielle dans la migraine avec ou sans aura https://americanheadachesociety.org/news/hypersensitivity-in-migraine/

Intégration multisensorielle dans la migraine https://journals.lww.com/co-neurology/abstract/2013/06000/multisensory_integration_in_migraine.4.aspx

Étude des relations entre le fardeau des symptômes d’hypersensibilité sensorielle multiple et l’incapacité liée aux maux de tête chez les patients atteints de migraine https://thejournalofheadacheandpain.biomedcentral.com/articles/10.1186/s10194-021-01294-8

Thérapie de réentraînement des acouphènes https://treblehealth.com/tinnitus-retraining-therapy-audiologist/

Phonophobie et excitabilité du tronc cérébral dans la migraine https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33305448/

Intégration multisensorielle dans la migraine (2014) https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4038337/#:~:text=Migraine%20attacks%20consist%20of%20moderate,prominent%20during%20individual%20migraine%20attacks

Photo-, osmo- et phonophobie dans la phase prémonitoire de la migraine : confondre symptômes et déclencheurs ? https://thejournalofheadacheandpain.biomedcentral.com/articles/10.1186/s10194-015-0495-7

Migraine, une maladie de mieux en mieux connue https://www.inserm.fr/dossier/migraine/

La migraine est associée à un traitement altéré des stimuli sensoriels https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25245197/

Migraine associée aux acouphènes et à la perte auditive chez les adultes : une revue systématique https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/36459425/

Mis en ligne le 10 décembre 2023