Comment une approche mixant thérapies classiques et alternatives peut aider les migraineux ?
Résumé de l’interview du Docteur Kuruvilla
Migraine World Summit 2021
Traduit et résumé par Céline, bénévole à la Voix des Migraineux.
Méditation, acupression, biofeedback, compléments alimentaires, yoga et d’autres sont autant d’options non médicamenteuses utilisées par de nombreux migraineux pour reprendre le contrôle sur leur pathologie. Pour comprendre comment intégrer ces thérapies à une approche plus globale, nous avons invité le Dr Kuruvilla qui est en charge des recommandations de l’American Headache Society sur les médecines alternatives. Le Dr Kuruvilla va nous aider à comprendre les preuves de succès de certaines de ces thérapies, pour que nous puissions faire le choix des choses à tester et de celles à éviter, en connaissance de cause.
« Ce qu’il faut avoir en tête, ce qui me semble important, c’est qu’il faut trouver un médecin qui est à l’aise avec les données des essais des thérapies classiques et conventionnelles, et des thérapies douces, et qui peut proposer une approche mixte. »
POUR COMMENCER, POURQUOI L’AMERICAN HEADACHE SOCIETY, QUI EST DIRIGÉE PAR DES MÉDECINS, S’INTÉRESSE AUX MÉDECINES ALTERNATIVES, ET POURQUOI MAINTENANT ?
En réalité, ce n’est pas nouveau. Il y a des sessions sur les approches alternatives depuis plusieurs années lors des rencontres semestrielles de l’American Headache Society. Quand j’ai rejoint l’organisation, il y a environ 5 ans, je me suis rendu compte qu’il y avait déjà de nombreux médecins adoptant des approches complémentaires. Certains étaient spécialisés en acupuncture, d’autres en méditation de pleine conscience. Nous avons depuis mis en ligne de nombreux articles sur ces approches complémentaires pour que les patients soient informés.
POURQUOI EST-IL SI DIFFICILE DE TROUVER UN MÉDECIN QUI SORTE DES SENTIERS BATTUS ET PROPOSE DES STRATÉGIES MIXTES POUR COMBATTRE LA MIGRAINE ?
D’abord, parce que pour certaines médecines alternatives, il n’y a que trop peu d’études menées et prouvant leur efficacité contre la migraine. Mais aussi, parce qu’il est difficile de proposer certaines approches alternatives quand on n’est pas coutumier du fait. Nous devons donc travailler à les rendre plus visibles et former les médecins à ces nouvelles approches thérapeutiques.
Je propose un moyen mnémotechnique pour aider les médecins à initier la conversation avec leurs patients sur les médecines alternatives, CARE ou :
– C pour « Conventional therapy (thérapie conventionnelle) ». Il est important de commencer par demander aux patients leurs expériences avec ces thérapies conventionnelles par le passé.
– A pour « Avoid judgment (éviter les jugements hâtifs) ». Parfois, on peut être surpris par ce qu’une personne a essayé par le passé pour combattre la migraine. Mais il faut absolument éviter toute forme de jugement pour permettre une discussion fluide avec le patient sur son ouverture aux méthodes alternatives.
– R pour « Review (passer en revue) ». Les différentes médecines alternatives et les preuves existantes sur leur efficacité doivent être passées en revue avec les patients, afin d’identifier avec eux la (ou les) plus appropriée(s).
– E pour « Explorer (explorer) ». Demander au patient pourquoi il est intéressé par cette approche.
Il y a donc un double challenge : trouver un médecin qui comprenne la migraine, et qui envisage les approches alternatives complémentaires.
COMMENT DIFFÉRENCIER LES APPROCHES ALTERNATIVES QUI VALENT L’ESSAI, DE CELLES QUI SE RAPPROCHENT DU CHARLATANISME ?
Justement, cela peut se faire avec son médecin, qui est à l’aise avec ces thérapies. Parce que le médecin a accès aux études qui attestent des résultats de telle ou telle approche, et qu’il est au courant des potentielles réactions indésirables. Les migraineux peuvent aussi consulter les « Guides Patient » sur le site de l’American Migraine Foundation. Certains ont un focus sur les approches alternatives, comme les vitamines ou les nutriments. Consultable également : la « Headache Toolbox » de la revue Headache (le journal de l’American Headache Society), qui référence les traitements alternatifs qui présentent des preuves d’efficacité.
COMBIEN DE TEMPS RECOMMANDEZ-VOUS D’ESSAYER UNE THÉRAPIE ALTERNATIVE, SACHANT DE CERTAINES PEUVENT REPRÉSENTER UN « SACRÉ COÛT » ?
C’est une bonne question, et je dirais que ça dépend de la thérapie essayée. Je sais par exemple que mes collègues qui font de l’acupuncture recommandent une à deux sessions par semaine, pendant au moins 10 semaines, pour voir si cela a un effet sur les migraines. Cela dépend de la personne et du type de migraine. Pour les migraineux chroniques, cela peut prendre plus de temps.
On ne va pas parler du CBD, du yoga, de la méditation ou des compléments alimentaires parce que ce sont des sujets qui seront traités dans d’autres conférences, mais je vais vous lister quelques thérapies alternatives, et vous allez me dire si vous les approuvez ou les désapprouvez, à partir des preuves d’efficacité de chaque thérapie dont vous avez connaissance.
Avant tout, je voudrais vraiment rappeler aux lecteurs que ces approches alternatives doivent être discutées avec leur médecin, parce que les essais cliniques menés sur ces thérapies le sont rarement sur des patients avec plus de 15 jours de migraines par mois, et sont la plupart du temps menés sur un très petit nombre de patients.
- L’acupuncture
Pouce en l’air pour moi. L’acupuncture peut aider quand elle vient en complément d’une thérapie classique.
- Les massages
Pouce en l’air pour moi. Il y a eu une étude sur l’impact d’un massage hebdomadaire durant 13 semaines : la conclusion était que les massages ont un impact sur la fréquence des migraines, sur la qualité du sommeil et sur l’anxiété. Beaucoup de mes patients se plaignent de tensions musculaires dans le haut du dos, et c’est un fait que traiter ces tensions avec des massage a un impact sur leurs migraines.
- La thérapie physique du cou
Pouce en l’air également. Je recommande souvent à mes patients, en plus d’une thérapie classique, une thérapie physique pour renforcer le cou, les épaules, la tête, voire même des manœuvres craniosacrales.
- La chiropractie pour le cou
Ici, je donne plutôt un entre-deux, parce que la pratique peut comporter un certain risque. Et les études menées sur cette pratique ne peuvent pas être comparées à un placebo, donc difficile de les prendre pour argent comptant.
- Les gouttes dans les yeux de timolol maleate (bêta-bloquant sous forme de collyre)
Pas facile de répondre ici. Les études menées sur ce sujet n’ont pas rassemblé suffisamment de participants pour être parlantes. Ça a l’air d’être un traitement de crise attirant, parce que son mode de propagation lui délivre une grande réactivité : 20 minutes ! Donc je pense que ça peut être une option pour ceux qui ont des contre-indications aux traitements de crises classiques.
- Le gingembre (une étude disait que le gingembre avait autant d’efficacité que le sumatriptan connu sous le nom d’Imitrex)
Alors, les effets analgésiques du gingembre sont connus depuis longtemps, mais l’essai clinique du gingembre contre placebo a été mené sur une toute petite population. D’ailleurs, dans cette étude, l’effet du gingembre était étudié aux urgences… Pour dire vrai, c’est quelque chose que je vais étudier de près.
- Le magnésium, sous forme d’huile
Pouce vers le bas. Il n’y a pas assez de preuve d’efficacité de l’huile de magnésium pour le proposer à des migraineux.
- La lumière verte
Alors, je ne recommande pas encore les thérapies à la lumière verte. Une étude sur une petite population a montré que la fréquence des céphalées était plus significative chez les personnes ayant reçu de la lumière verte que chez les gens ayant reçu de la lumière blanche. Mais il s’agit d’une trop petite étude encore, et je pense qu’une étude plus large est nécessaire.
- Hallucinogènes (psilocybine)
Pouce vers le bas. Il y a actuellement une étude en cours à Yales sur les traitements hallucinogènes ou psychédéliques, sur les céphalées en grappe et les céphalées post-traumatiques. Mais cette étude porte sur 10 patients, ce qui est vraiment trop peu pour tirer une conclusion. Je pense qu’il nous faut beaucoup plus d’études sur son usage contre la migraine avant de pouvoir le considérer comme un traitement alternatif.
POUR RÉSUMER, POUVEZ-VOUS NOUS DONNER QUELQUES RECOMMANDATIONS SUR OÙ COMMENCER ?
Si votre médecin vous recommande seulement des thérapies classiques, ou ne vous recommande que des thérapies alternatives, il y a un problème. C’est important d’en discuter avec un médecin qui est à l’aise avec les deux types de thérapies.
POUR EN SAVOIR PLUS SUR VOUS ET VOS RECHERCHES ?
Je suis la directrice médicale du Westport Headache Institute. Notre institution a une page Facebook et une page instagram (@westportheadache). Vous pouvez trouver les différentes recherches que j’ai menées sur PubMed et consulter la « Headache Toolbox (boîte à outils des céphalées) » sur le site web de l’American Headache Society. Le NCCIH (National Center for Complementary and Integrative approach) a aussi un site web sur lequel figure des informations sur la sécurité et l’efficacité de certaines thérapies alternatives, donc c’est aussi une source intéressante.
Source : https://migraineworldsummit.com/talk/how-an-integrative-approach-can-help-migraine/
Pour plus d’informations, vous pouvez vous reporter à la page de notre site internet sur les techniques non médicamenteuses, ou vous rendre sur l’application de notre partenaire KALYA PRO, une application gratuite pour les patients (payante pour les professionnels) sur les approches non médicamenteuses validées scientifiquement. L’american migraine foundation offre aussi des conseils de qualité.
Mis en ligne le 25 février 2024