Les traitements qui font empirer la migraine
Résumé de l’interview du docteur Stewart J. TEPPER
Migraine World Summit 2021
Partons du postulat suivant : il y a un équilibre délicat à trouver dans le traitement d’une crise ; on veut le prendre suffisamment tôt pour stopper la crise, mais on ne veut pas non plus prendre de médicament si ça n’est pas nécessaire. Pour nous aider à y voir plus clair, le Dr Stewart Tepper répond à nos questions.
LES ANTI-DOULEURS PEUVENT-ILS FAIRE EMPIRER LA MIGRAINE, ET SI OUI, POURQUOI ?
Les 2 anti-douleurs qui ont le pire impact sur la migraine sont :
– Le Butalbital,
– Les opioïdes de toutes formes.
Ces deux traitements altèrent le système de régulation de la douleur dans le cerveau, et ils ne font pas qu’empirer la migraine seulement en termes de fréquence et de durée, ils la rendent souvent intraitable.
Les autres anti-douleurs, les anti-inflammatoires ou les anti-douleurs sans ordonnance, peuvent aussi impacter négativement la migraine. Le piège, c’est que bien utilisés, et à une faible fréquence, ces médicaments peuvent aider les migraineux. Mais une fois qu’ils sont consommés plus de 10 à 15 jours par mois, alors les choses empirent drastiquement. Et attention, peu importe la raison pour laquelle vous prenez ces anti-douleurs : même si vous prenez ces anti-douleurs pour un mal de dos, et non pour une migraine, le cerveau ne fait pas la différence.
EST-CE LE CAS POUR TOUS LES TRAITEMENTS ? AUTREMENT DIT, N’IMPORTE QUEL MÉDICAMENT PEUT-IL CONTRIBUER À L’APPARITION DE MIGRAINES PAR ABUS MÉDICAMENTEUX ?
C’est le cas pour presque tous les traitements de crises de la migraine, avec 2 exceptions importantes :
– la première c’est la dihydroergotamine ou DHE (un médicament datant de 1945, par injection ou spray nasal pour stopper la migraine) ;
– la seconde, c’est le plus récent des traitements, les gépants (ubrogepant et rimegepant) dont la consommation ne semble pas causer de passage aux céphalées chroniques quotidiennes. Il apparaît même, après de récentes études cliniques, que le rimegepant peut être utilisé comme un traitement de crise, mais également comme un traitement de fond, ce qui est soumis à l’étude de la FDA (équivalent américain de la Haute Autorité de Santé en France) présentement.
À part ces deux exceptions, les autres traitements usuels (triptans, AINS, analgésiques, butalbital, opioïdes) peuvent causer, s’ils sont consommés au-delà d’une certaine limite, un passage de migraine épisodique à chronique.
Aussi, un point très important à avoir en tête, est que plus le nombre de jours de céphalée augmente, plus le risque de voir s’installer la migraine chronique augmente. Les gens qui ont entre 10 et 14 jours de céphalée par mois ont 20 fois plus de chances de développer des céphalées chroniques quotidiennes que ceux qui ont moins de 5 jours de céphalée par mois.
QUELS SONT LES AUTRES FACTEURS DE RISQUE DU PASSAGE DE LA MIGRAINE ÉPISODIQUE À LA MIGRAINE CHRONIQUE ?
Le poids, le ronflement et la fréquence des crises et de la prise de traitement de crise.
COMMENT SAVOIR SI ON SOUFFRE DE MIGRAINE PAR ABUS MÉDICAMENTEUX ? CELA EST-IL DIFFÉRENT D’UNE CRISE DE MIGRAINE CLASSIQUE ?
Peu importe la localisation ou l’intensité. Le problème ce n’est pas la qualité de la crise, mais la quantité de crise. C’est bien le nombre de jours avec consommation de traitement de crise par mois qui est l’indicateur à suivre de près. S’il dépasse 15 jours par mois, alors, on est dans la migraine par abus médicamenteux. Aussi, il faut regarder parfois de plus près : je pense personnellement qu’un patient qui prend des opioïdes 2 jours par semaine souffre très probablement de migraine par abus médicamenteux.
Pour en être sûr, il faut impérativement tenir un calendrier de migraine papier ou digital et compter le nombre de jours avec crise par mois. Et pas seulement les crises de migraine, mais de toutes sortes de céphalées. On peut aussi compter le nombre de jours sans ombre au tableau (pas le moindre mal de tête du réveil au coucher), et si celui-ci est inférieur à 15 jours par mois, alors on est en migraine chronique.
QU’EN EST-IL SI ON COMBINE DIFFÉRENTS TRAITEMENTS ? UN JOUR UN TRIPTAN, LE LENDEMAIN UN ANTI-INFLAMMATOIRE ?
Presque tous les migraineux combinent différents traitements de crise. Pour simplifier, il convient de considérer qu’un migraineux qui prend des traitements de crise plus de 10 jours par mois (en mettant de côté le Butalbital et les opioïdes) a des chances d’avoir des migraines par abus médicamenteux et donc de transformer sa migraine en migraine chronique.
QUELS AUTRES ÉLÉMENTS, PEUT-ÊTRE MOINS ÉVIDENTS, PEUVENT MENER À LA MIGRAINE PAR ABUS MÉDICAMENTEUX ?
– La caféine consommée à plus de 100 à 200 mg par jour peut être un facteur aggravant. J’ai tendance à ne pas essayer de supprimer complètement la caféine chez mes patients, si tant est qu’elle n’est pas sur-consommée.
– Les médicaments sans ordonnance décongestionnants ou antihistaminiques (pas les antihistaminiques récents, pas la cétirizine) peuvent contribuer à l’apparition de migraine par abus médicamenteux.
– Il y a un débat sur les benzodiazépines, mais je pense personnellement qu’ils peuvent impacter négativement et faciliter le passage à l’abus médicamenteux et à l’apparition de céphalées chroniques quotidiennes, tout comme les amphétamines.
– Presque tous les somnifères (sauf la mélatonine) peuvent contribuer à rendre la migraine chronique.
POURQUOI EST-IL IMPORTANT DE RECONNAITRE ET TRAITER LA MIGRAINE PAR ABUS MÉDICAMENTEUX ?
Le souci avec l’abus médicamenteux, c’est que non seulement on multiplie la fréquence des crises et on rend plus difficile leur traitement, mais en plus de cela, il entraîne de nombreux problèmes médicaux : cela peut entraîner des ulcères, l’exacerbation de problème de pression sanguine, ou des dysfonctionnements des reins.
L’abus de triptans ne cause généralement pas de problème de santé autre que la migraine par abus médicamenteux, mais les narcotiques altèrent la régulation de la douleur dans le cerveau, et plus on prend d’opioïdes, plus la situation empire : tout empire, la dépression, l’anxiété…
UN DES TÉMOIGNAGES DE MIGRAINEUX PORTAIT SUR LA DÉLICATE BALANCE ENTRE LE FAIT DE PRENDRE LE TRAITEMENT DE CRISE DÈS LES PREMIERS SIGNES DE LA MIGRAINE ET LE FAIT DE NE PAS PRENDRE TROP DE TRAITEMENTS DE CRISE. QUE LUI RÉPONDEZ-VOUS ?
Qu’aujourd’hui on rentre dans une nouvelle ère du traitement de la migraine. Nous avons les anti-CGRP qui convertissent la majorité des patients souffrant de migraine par abus médicamenteux à plus du tout d’abus médicamenteux, d’une migraine chronique à une migraine épisodique. C’est un changement de paradigme : les anciens traitements, même le Topiramate, étaient relativement inefficaces, au moins 50 % moins efficaces chez les patients présentant des migraines par abus médicamenteux.
Comment fonctionnent les anti-CGRP ? Pour la majorité des patients, la migraine est causée par la libération de la calcitonin gene-related peptide (CGRP) à l’extérieur du cerveau. La CGRP s’accroche à une “station d’amarrage du CGRP”, et enclenche la migraine à l’extérieur du cerveau, puis le signal est donné au cerveau, et là, toute la mécanique de la migraine est initiée.
Et donc, les nouveaux traitements anti-CGRP bloquent soit la “station d’amarrage du CGRP” soit capte la plus grande partie du CGRP qui circule. Cela réduit la fréquence, la sévérité, la durée des migraines, et le besoin de traitement de crise.
On peut prendre une métaphore pour expliquer ce phénomène : s’il y a un feu dans un espace clos, les pompiers peuvent aspirer l’oxygène et alors il n’y a plus de feu.
Autre bonne nouvelle : il semblerait que les gépants (rimegepant et ubrogepant) n’entraînent pas d’abus médicamenteux. C’est donc une autre voie à explorer pour les personnes souffrant de migraines par abus médicamenteux.
Je ne peux pas vous dire à quel point c’est encourageant de voir aujourd’hui des patients dont la vie a changé grâce à ces nouveaux traitements.
POUR CEUX QUI N’ONT PAS ACCÈS AUX ANTI-CGRP, OU POUR QUI LES ANTI-CGRP N’ONT PAS ATTEINT L’OBJECTIF ESCOMPTÉ, QUEL EST LE MEILLEUR TRAITEMENT DE LA MIGRAINE PAR ABUS MÉDICAMENTEUX ?
Malheureusement, en étudiant 8 000 patients qui suivaient un traitement avant l’arrivée des anti-CGRP contre la migraine chronique, 83 % d’entre eux avaient arrêté le traitement en moins d’un an. Cela montre la futilité clinique, sans même prendre en compte les effets secondaires des traitements en question.
Si un traitement anti-CGRP n’a pas atteint l’objectif, il faut en essayer un autre qui pourrait fonctionner.
L’injection de Botox est également une combinaison qui peut être essayée. Aux Etats-Unis, et ailleurs, on peut essayer de coupler le Botox aux anti-CGRP pour les patients les plus récalcitrants, puisque ces deux traitements fonctionnent via des mécanismes différents.
En Europe, où l’accès aux anti-CGRP est plus difficile pour les patients, ce que je peux dire c’est : ne prenez pas non pour une réponse ! Soutenez les associations de médecins ou de patients qui se battent pour obtenir l’accès à ces traitements. Ça s’est vu sur d’autres maladies comme la sclérose en plaque, et ça a fonctionné par le passé, il n’y a pas de raison pour que cela ne fonctionne pas de nouveau.
EST-CE QU’IL Y A UNE OPTION NATURELLE POUR CASSER LE CYCLE DE LA MIGRAINE PAR ABUS MÉDICAMENTEUX ?
Non. Vous devez traiter la cause racine de l’abus médicamenteux, sinon, tout le reste n’a que peu de chance d’avoir un impact, aussi modeste soit-il.
Si on décèle très tôt l’abus médicamenteux, alors on peut essayer d’enrayer la machine avant qu’il ne soit trop tard : en identifiant le traitement de crise qui fonctionnera le mieux pour le patient et n’entraînera pas de rebond, on passe de 12 jours avec crise par mois à 4. Ainsi, on diminue la prise de traitement de crise, et on évite la migraine par abus médicamenteux. Je vous conseille la lecture de l’étude de Richard Lipton “American Migraine Prevalence and Prevention Study” à ce sujet.
UNE DERNIÈRE QUESTION : UN TÉMOIGNAGE DE MIGRAINEUX QUI DISAIT ESSAYER DE DIMINUER LA CONSOMMATION DE TRAITEMENTS DE CRISE EN PRENANT DES DEMI-COMPRIMÉS. MAIS J’AI L’IMPRESSION QUE, D’APRÈS VOUS, CELA CONTRIBUE À SOUS-TRAITER ET DONC LAISSE LA VOIE À PLUS DE JOURS DE MIGRAINE PAR MOIS.
Oui, il faut faire attention à ça. Les patients qui ne prennent que des demi-doses lorsqu’une dose leur est prescrite, n’ont que peu de chances d’être “sans douleur” (“pain free”), et ont donc plus de chance de voir la migraine reprendre. Sous-traiter empire les choses, ce n’est pas une bonne voie. La meilleure des options est d’identifier le traitement qui marche le mieux pour chaque patient, et cela le plus rapidement possible pour éviter l’abus médicamenteux. Il faut impérativement renseigner ses crises dans un agenda papier ou une application mobile pour mieux en rendre compte au médecin et permettre à celui-ci d’adopter l’approche thérapeutique avec le plus fort taux de succès. Nous avons aujourd’hui 4 anti-CGRP, 2 gépants, le lasmiditan, la neuromodulation non invasive. C’est vraiment un moment plein d’espoir pour le traitement de la migraine. Mettons toutes nos chances de notre côté !
Source :
https://migraineworldsummit.com/talk/medications-that-make-migraine-worse/
Un résumé de Céline Féron, bénévole à la Voix des Migraineux
Mise à jour le 15 octobre 2022