Pourquoi ne peut-on toujours pas guérir la migraine ?
Interview du Docteur Tissa Wijeratne
Migraine World Summit 2021
Tissa Wijeratne est neurologue, chef du service de neurologie, professeur et chercheur au Western Hospital de Melbourne. Il est particulièrement impliqué dans la recherche sur la migraine et dans la diffusion des connaissances auprès du grand public puisqu’il a mené une action en 2019 (World Brain Day Campaign) avec la Fédération Mondiale de Neurologie et la Société Internationale des Maux de tête. Il préside le Migraine Special Interest Group ainsi que la Migraine Foundation. Il siège au sein de nombreuses autres associations.
Nos cerveaux sont des ordinateurs très sophistiqués, bien plus qu’aucun Mac ou PC ne le sera jamais. Notre cerveau consiste en des centaines de millions de signaux bio-électriques qui sont en constante interaction entre eux à chaque seconde. Le nombre de synapses qui connectent les neurones est estimé à plus de trois milliards. Nous n’en sommes qu’aux balbutiements de la science des processus cérébraux.
La migraine est une maladie biologique dont l’origine est un changement dans l’activité électrico-chimique du cerveau, susceptible d’affecter à peu près n’importe quelle autre fonction biologique. C’est la maladie la plus complexe qu’on puisse imaginer. Voilà la première raison pour laquelle on en sait toujours si peu.
Mais elle demeure la maladie pour laquelle la recherche est la moins financée, la moins respectée, et dont les patients sont les plus négligés. Le financement de la recherche sur la migraine est totalement disproportionné par rapport au coût qu’elle représente pour la société. D’autres maladies qui ont un impact sociétal beaucoup plus léger sont bien mieux financées. Il résulte de ces négligences diverses que la migraine en tant que champ de recherches attire moins de chercheurs. Il existe pourtant des liens évidents entre la migraine et tous les processus cérébraux. Cela veut dire que plus on en apprendra sur la migraine et plus on en saura aussi sur beaucoup d’autres pathologies, notamment les AVC, les maladies mentales et les maladies neurodégénératives.
La question du sexisme se pose aussi. La migraine est une maladie qui affecte beaucoup plus de femmes que d’hommes, surtout sous sa forme chronique. D’une manière générale, Tissa Wijeratne constate qu’on attend beaucoup plus des femmes, et qu’elles endurent beaucoup plus au cours de leur vie que les hommes. Ces injustices doivent être redressées.
Certains disent que la migraine ne tue pas. D’une, elle tue (en contribuant à des AVC ou parfois même en poussant les personnes atteintes au suicide), et de deux, même quand elle ne tue pas, elle tue la joie humaine…Tissa Wijeratne lui-même souffre de migraines – ses enfants probablement aussi, son frère également- et il peut témoigner de l’impact qu’elles ont au quotidien… des journées entières de vie sans joie.
Les maladies neurologiques sont la cause n°1 de handicap. Les deux plus prévalentes sont l’AVC et la migraine. Dans de nombreux cas (surtout chez les populations actives), c’est la cause n°1 d’incapacité devant même les maladies cardiovasculaires. Au milieu d’une crise de migraine, le Global Burden Disease Group a estimé qu’un individu ne dispose plus que de 40 à 50 % de ses capacités et fonctions intellectuelles et cognitives. L’OMS a fini par en faire une priorité.
Que faire maintenant ? Le futur de la prise en charge des patients dépend de la place qu’on devra leur laisser dans la gestion de leur maladie. Ce que Tissa Wijerane enseigne à ses étudiants, c’est que si on veut le meilleur pour son patient, on doit l’intégrer pleinement au processus thérapeutique. Le patient en sait au moins autant sur sa pathologie que son médecin de la douleur ou son neurologue. Le premier travail du médecin est d’apprendre du patient sa maladie. Une solution personnalisée existe pour chaque patient, et à force de confiance, de dialogue et d’essais successifs, chacun peut réduire considérablement son nombre de jours perdus pour la joie.
Que conseiller à un individu qui veut faire bouger les choses ? L’épidémie de Covid 19 nous a rapprochés. Le monde est encore plus global aujourd’hui qu’il ne l’était il y a un an. La recherche accélère, notamment dans le cadre des recherches sur la Covid qui affecte certains processus cérébraux. Tissa Wijeratne en a plus appris cette année écoulée que dans toutes ses études réunies. Il est très optimiste. Il faut réussir à placer la recherche sur le devant de la scène. Parlez-en à vos entourages, mêlez-y vos familles, vos collègues, vos amis ! Si votre médecin ne s’intéresse pas à votre migraine pour telle ou telle raison, intéressez-le ! Imprimez-lui des documents, dirigez-le vers des ressources, informez-le !
Rejoignez les groupes de patients, groupes de soutien, associations de patients… faites du bruit !
Source :
https://migraineworldsummit.com/talk/why-doesnt-migraine-have-a-cure-yet/
Traduit et résumé par Marine Quattre, bénévole à la Voix des Migraineux
Mis en ligne le 16 Novembre 2022
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