La migraine et la littérature
Un texte de Marion, bénévole à la Voix des Migraineux.
La migraine, cette maladie « invisible » et incomprise, est pourtant un mal décrit depuis longtemps par des mots qui font écho.
Je voudrais partager avec vous quelques citations d’écrivains, tirées du livre d’Esther Lardreau : « La migraine, biographie d’une maladie ».
La migraine est étudiée depuis l’antiquité. À partir du XIXème siècle, médecine clinique et littérature se rejoignent et c’est ainsi que l’on peut lire nos maux en mots. De cette maladie invisible et imprévisible, Maupassant disait « Je (…) voudrais pouvoir vous montrer ma migraine pour vous prouver que je ne puis remuer » ; « Je ne suis jamais sûr du lendemain ou même de l’heure suivante ». Parlant, non ?
Balzac, tristement célèbre auprès des migraineux pour avoir écrit que la migraine était « l’affection dont les ressources sont infinies pour les femmes » en souffrait pourtant lui aussi. Il écrit dans ses lettres à Madame Hanska : « Il m’est impossible de travailler et de me permettre la plus légère déviation de mes habitudes : me coucher une heure plus tard, prendre mon café une heure trop tard, dormir une heure de plus, toutes ces petites infractions sont sévèrement punies par la nature ! Elle m’inflige d’atroces migraines, des douleurs de tête intolérables » ; « La journée n’a pas si bien fini hier qu’elle a commencé : le temps est devenu pluvieux ; j’ai des douleurs à la tête ; j’ai voulu sortir quand le bon sens me disait de me mettre au lit. […] Mon mal a redoublé ; je m’en ressens encore ce matin. M’étant couché tard, plus tard que mon heure, il s’ensuit que j’ai la migraine ». Respecter un rythme régulier, cela vous parle aussi ?
George Sand a tenu pendant des années des agendas (ancêtres de l’application Apo Migraine), qui comptabilisaient la fréquence et la durée de ses crises. Elle décrit l’une d’entre elles : « J’avais une migraine affreuse, je ne pensais plus, je ne vivais plus, j’étais indifférente à toutes choses […] Je ne m’aimais plus moi-même. » Elle était aussi sensible à la météo : « Un peu de soleil, un peu de migraine. » ; « J’ai pris la migraine au soleil » ; Le froid « serre les tempes » ; « Madame a la migraine. Le temps l’a aussi. » Joliment dit !
Jules Michelet parlait d’une « forte migraine qui annonçait la tempête de la nuit ». Ce dernier décrit également ses difficultés à penser : « Mal à la tête ; sorte d’écran entre moi et les pensées », tout comme Maupassant : « Dès que j’écris dix lignes, je ne sais plus du tout ce que je fais, ma pensée fuit comme l’eau d’une écumoire ».
Maupassant dit encore : « La migraine […] rend fou, égare les idées, et disperse la mémoire ainsi qu’une poussière au vent » ; « Penser devient un tourment abominable quand la cervelle n’est qu’une plaie. J’ai tant de meurtrissures dans la tête que mes pensées ne peuvent remuer sans me donner envie de crier ». On compatit, n’est-ce pas ?
Sand, Flaubert, et d’autres encore ont identifié des prodromes : indisposition, malaise, bâillements, manque d’appétit, crampes d’estomac, tristesse, sensibilité exacerbée. Évoquant l’hypersensibilité auditive, Gide écrivait : « Mon organisme tout entier est comme ces maisons trop sonores où du grenier, l’on entend tout ce qui se fabrique dans la cuisine et dans la cave ».
Côté moral, ce n’est pas folichon. Gide évoque son impuissance : « désespérément loin de moi-même » ; « je me sentais laid, terne et bête ». Mallarmé se dégoûte : « je recule, devant les glaces, en voyant ma face dégradée et éteinte », il a l’impression à 23 ans d’« être un vieillard »…
Même les postdromes se définissent : par une « extralucidité de l’intelligence » pour Nietzche, une « hyperactivité onirique » pour Goncourt, une « faim excessivement vulgaire » pour Balzac… On parle aussi d’épuisement, de sérénité, d’une faiblesse physique qui, à la longue, devient permanente. Une impression de « déjà-vu », n’est-ce pas ?
Mis en ligne le 4 février 2024.